Inspiration : Qui suis-je ?
L’histoire que je vais vous conter n’est pas très drôle, c’est l’histoire d’une femme dont l’apparence n’a rien de commun avec son essence.
Avez-vous eu l’impression que l’on vous percevait d’une façon que vous n’étiez pas en réalité ?
Avez-vous ressenti le poids nécessaire d’être similaire aux autres ?
Avez-vous expérimenté l’autarcie de la marginalité ?
Kelidoma n’avait pas d’autre choix que de suivre le mouvement de la société dans laquelle elle était née.
Kelidoma n’avait pas pris conscience de cette réalité tout de suite, elle avait eu la chance de pouvoir donner libre cours à sa qualité d’enfant, d’expérimenté l’insouciance et les jeux jusqu’au jour où un de ses camarades de classe lui avait méchamment fait remarqué que la peau couleur « caca » d’une ses amies.
En rentrant chez elle, elle avait médité longtemps sur cette réflexion qui pourtant, d’une évidence visuelle, ne lui avait jamais posé de question.
Tout à coup, elle expérimentait le poids de la différence, qui en dérange certains.
Kelidoma aimait les grands yeux sombres aux cils fournis et longs de son amie, son petit nez toute en rondeur et sa bouche aux lèvres ourlées bien dessinées. Elle aimait comment elle tressait ses cheveux frisés en « vanille » et y incorporait des perles colorées. Elle aimait lorsqu’elle enduisait sa peau couleur « chocolat » de beurre karité et l’odeur sucrée qui en découlait. Elle la trouvait belle comme elle trouvait beaux ses parents dotés des mêmes attributs qu’elle.
Pourtant, autour d’elle, peu de gens lui ressemblaient, c’était vrai. Ils étaient tous pâles, des cheveux à la peau, des yeux clairs comme de l’eau et des bouches roses comme des fleurs, mais cela ne lui avait jamais paru être une différence réelle, ils communiquaient tous selon les mêmes idées, les mêmes comportements d’enfants, les mêmes insouciances… et voilà que tout avait été brisé sur une simple réflexion.
A partir de ce jour, Kelidoma comprit qu’il y avait des « camps » à choisir dans la vie.
Quelques temps après cette remarque, son amie, ne vint plus à l’école. Kelidoma entendit dire qu’elle avait été « expulsée ». C’est quoi « expulsé » dans la tête d’une enfant de 6 ans ? Encore une nouvelle révélation lui fut faite : son amie n’était pas dans son pays ici, elle était en situation irrégulière et ses parents aussi. « Irrégulière ? » pour une petite fille née peut-être dans la même maternité qu’elle, allait-il en être de même pour elle aussi ? Aucun risque, lui répondait-on, toi, tu es d’ici, tu as la nationalité. « la nationalité « ? C’est quoi ? C’est ce que tu as quand tu nais sur un territoire dont tes parents sont également issus. Mais ça sert à quoi ? ça sert à savoir d’où tu viens et de quelle culture tu es.
Kelidoma restait perplexe et aujourd’hui encore, alors qu’elle est femme, elle a toujours du mal à intégrer cette notion.
Kelidoma a évolué tout au long de sa scolarité avec des camarades issus de toutes origines et elle s’est tellement enrichie de ces différences qu’il ne lui est plus possible de voir le monde autrement que comme une grande diversité.
Kelidoma a un grand vide en elle. Elle se sent parfois si seule ici. Elle se sent comme une âme emprisonnée dans un corps qui ne reflète pas sa véritable personnalité. Ce qu’on voit d’elle la rend passe-partout mais ce qu’elle ressent c’est le malaise du métissage.
Kelidoma a toujours été séduite par les îles, depuis toutes jeune, elle a fantasmé sur les récits et les photos de voyages de ses parents et a retranscrit en dessin les images qui l’ont marquées.
Lorsqu’en classe de 5ème, elle a participé à une commémoration sur l’esclavage, c’est comme si tout à coup, elle avait fait un bon de 300 ans en arrière et qu’elle avait absorbé la souffrance des peuples d’Afrique déportés. Soudain, comment accepter l’image du miroir qui lui reflétait sa descendance de bourreaux ?
A jamais marquée, elle a approfondi ses connaissances sur la cause « noire », elle a appris avec intérêt l’histoire des DOM, elle a voué ses connaissances aux cultures antillaises jusqu’à sa rencontre avec un digne représentant des Antilles devenu le papa de sa petite fille, aujourd’hui.
Alors est-ce du mysticisme que de croire qu’elle se sent habité par une âme qui n’est pas métropolitaine ? Est-ce parce qu’on lui a raconté qu’elle fût conçue aux Seychelles qu’elle a développé cette personnalité ?
Jusqu’à ce jour, en tout cas, Kelidoma ne se sent toujours pas accomplie. Sa peau est blanche, son essence est noire et entre ces deux entités, s’entremêlent des liens métisses qui penchent d’un côté et de l’autre. Elle n’est pas à l’aise aux Antilles mais elle ne l’est pas non plus en Métropole ? Devra-t-elle vivre ainsi jusqu’à la fin, incapable de choisir, le cul entre deux chaises, tout le temps ? Incomprise par les siens et par les autres aussi ? Envieuse d’une évidence qui appartient aux autres, ceux qui n’ont jamais souffert de ces conflits internes, ceux qui ignorent le déracinement ?
Kelidoma joue souvent un rôle, elle s’adapte à son entourage comme un caméléon, jusqu’au trop plein qui déborde et inonde de colère parfois tout son être sans aucune maîtrise. Kelidoma est rarement elle-même, sauf quand elle est seule devant ses pages d’écriture, délicieux exutoire, qui la maintient en équilibre.