Jusqu'à la faim
Fleur venait d’avoir 15 ans.ai
Fleur venait d’entrer au lycée.
Fleur était ronde,
certains disaient d’elle qu’elle était grosse,
voire obèse,
voire « la truie »,
voire la « vache »,
voire le « boudin »,
voire…
mais Fleur pour Fleur n’était que Fleur.
Toujours joyeuse et pleine d’entrain,
toujours rêveuse et créative,
toujours aimante et pleine de tendresse,
elle aimait ses parents qui le lui rendaient bien.
Enfant unique d’une artiste et d’un cuisinier, e
lle oscillait entre les mondes pictural de sa mère et culinaire de son père.
Mais Fleur évoluait aussi dans son propre monde,
où l’apparence réelle n’avait que peu d’importance,
elle ne voulait voir que le beau des Hommes
entretenant ainsi toute la naïveté de l’enfance,
elle s’était construit un monde hermétique
au regard des autres sur son aspect physique…
Puis, un jour, il est arrivé.
Comme un Prince charmant sur son beau destrier,
elle l’a tout de suite remarqué
et il a illuminé sa soirée.
Comme à son habitude, Fleur n’a vu que sa beauté,
sa peau dorée,
ses cheveux blonds comme les blés qui flottaient au vent,
sa chemise et son pantalon blancs
comme le scooter sur lequel il était négligemment appuyé,
sous le bras, son casque argenté.
Il attendait et Fleur s’imagina un instant
être sa dulcinée.
et en sortant du lycée
et il lui a souri.
En rentrant à la maison, elle a retrouvé Papa,
qui, comme depuis son premier jour de classe,
lui avait préparé goûter, .
rivalisant d’ingéniosité
pour lui inventer
presque chaque jour
de nouvelles pâtisseries,
mêlant épices et confiseries
couleurs, textures avec Amour,
ces créations conduisaient irrésistiblement
à l’envie de laper le miel dégoulinant,
le sucre brillant,
le chocolat fondant,
les fruits luisants...
Il savait la mettre en appétit
mais pas ce jour-ci.
Non, Fleur avait goûté à une autre envie…
Elle était montée s’enfermer dans sa chambre.
Elle s’était déshabillée et plantée devant sa psyché
et pour la première fois de sa courte existence
elle s’était regardée.
Scrutant dans les moindres détails son corps énorme,
Soulevant les bourrelets de son abdomen,
crispant la graisse de ses cuisses pleines
ballottant la chair pendante de ses bras,
caressant son double menton,
regardant l’amas de peau au-dessus et entre ses genoux,
pivotant pour reconnaître l’aspect porcin de ses mollets.
Elle s’était approchée plus près
et elle avait fixé la rondeur de son visage,
l’aspect joufflu et dodu qui le dominait,
enserrant comme dans un étau
la clarté de ses yeux
soudain brillants de larmes de dégoût.
Voilà ce qu’elle avait vu : un monstre de graisse ruisselante.
Une fois revêtue de son pyjama « Hello Kitty » rose et blanc à pois,
elle s’était allongée sur son lit et avaient fermé les yeux.
Derrière ses paupières closes ,
l’image de son » chevalier » avait dansé ;
elle en avait conclu que décidément
elle ne pouvait pas être sa Princesse ;
lui, si parfait, à tout point de vue
et elle, si… si… si inqualifiable.
Papa avait frappé doucement à la porte,
cherchant à savoir pourquoi elle avait boudé le goûter.
L’image pantagruélique de la table
lui avait donné soudain un haut le cœur.
Elle avait répondu à papa qu’elle ne se sentait pas très bien
et Papa avait pensé qu’elle se rattraperait au dîner…
Mais à l’heure du dîner,
l’image de ce corps qu’elle avait reflété
dans le miroir
ne l'avait pas quittée.
Comment avait-elle pu
ne pas le remarquer avant ?
tant de difformité,
tant de flottement de gras,
aucune fermeté,
rien qu’un amas de lipides
autour d’un squelette sans doute inexistent.
Plus jamais elle ne dînerait,
plus jamais elle ne goûterait,
plus jamais elle ne déjeunerait,
NON ! Il fallait que tout cela disparaisse,
il fallait qu’elle anéantisse cette image,
et c’était avec cette détermination
qu’elle s’était endormie.
Le lendemain matin,
devant le lycée,
elle l'avait revu
son chevalier,
mais ses bonnes résolutions de la veille
avaient un tantinet fuit
pendant la nuit.
Morte de faim au réveil,
elle avait englouti presque une baguette entière,
un chocolat chaud,
de la confiture,
un bol de céréales
un jus de fruits frais...
Son ventre s’en contorsionnait
maintenant de regrets
d’autant plus lorsqu’elle voulut
passer entre le scooter du jeune homme et la grille
et qu’il dû le déplacer
pour qu’elle entre dans le lycée.
Elle n’osa pas soutenir son regard,
alors que lui,
n’hésita pas à lui sourire .
« comment imaginer une grosse vache comme moi, avec lui se demanda-t-elle ?
Il devait forcément avoir la majorité des beautés à ses pieds,
c’était une évidence. »
Soudain, elle sentit monter en elle une envie de vomir impérieuse,
elle se précipita aux toilettes
où elle rendit tout son petit déjeuner.
Les semaines passèrent dans cette atmosphère,
Fleur vomissant son petit déjeuner tous les matins
et boudant goûter et dîner en rentrant.
En effet, chaque matin, il était là
et le soir, à la sortie des cours aussi.
Fleur avait retourné sa psyché,
elle ne voulait plus se regarder,
JAMAIS.
Petit à petit,
elle s’était habituée
aux sensations de faim qui la tiraillaient
la nuit,
elle avait fait quelques tentatives pour se goinfrer
mais son corps ne semblait plus accepter
alors elle baffrait, puis elle rejetait.
Bientôt, sa garde-robe ne devint plus que flottement de tissu autour d’elle,
un tel régime portait ses fruits,
elle maigrissait ;
elle maigrissait même à vue d’œil.
Maman avait remarqué qu’elle se transformait,
maman n'en avait pas fait cas,
car sa Fleur aimait ce qu’elle devenait.
Au lycée, elle qui craignait les cours de sport,
se découvrait maintenant du goût pour l'effort
elle se poussait toujours, encore
jusqu’à bout de forces, jusqu'à pléthore.
Un trimestre passa à ce rythme
et Fleur était était décormais mince.
Désormais, les filles lui parlaient
et elle leur répondait
sur les sujets
qui les intéressaient…
Fleur s’était donnée
une date pour retourner sa psyché,
Elle était persuadée
que l’image qu’elle y verrait
serait forcément différente de celle qui l’avait choquée
ce fût avec appréhension,
qu’elle procéda au retournement à la rotation
et qu’y vit-elle ?
Une truie.
Une grosse truie
avec tous ses bourrelets
aussi laide qu’avant.
Elle étouffa un cri
Ce n’était pas possible !
Il fallait continuer le combat,
il fallait cette fois-ci jeûner,
et tout éliminer,
courir,
se dépenser,
et perdre, perdre, perdre tout ce poids
encombrant et dégoûtant.
La nuit,
lorsque Fleur se couchait,
elle sentait l’acide gastrique bouillonner en elle,
et elle jouissait de plaisir.
Lorsque les os saillants de ses côtes
transperçaient le matelas
jusqu’à en toucher les ressorts,
elle s’en réconfortait.
Le jour,
lorsque le manque de nourriture la doppait
et lui donnait une énergie incommensurable,
elle finissait de se convaincre du bien fondé de sa méthode,
et elle maigrissait, encore et encore,
jusqu’à l’épuisement,
jusqu’aux évanouissements fréquents,
jusqu’aux crises de tétanie sur la piste de course,
jusqu’aux douleurs mentales qui finalement prenaient le pas sur les physiques.
Fleur ne vivait plus que dans sa chambre,
elle ne voyait plus ses parents,
elle ne voyait pas leur désarroi de ramener les plateaux-repas pleins qu’ils lui avaient déposés devant la porte,
elle ne voyait pas qu’ils constataient la perte de sa joie de vivre et de tout intérêt pour le monde,
elle ne voyait plus rien d’autre que son obsession : se priver de nourriture.
Car dans le miroir,
toujours la même image persistait : cette grosse fille dégoulinante de graisse.
Bientôt la fin des cours arriva,
Fleur n’était plus qu’une ombre,
elle avait disparu en six mois.
Son « chevalier » était là,
mais il n’avait plus besoin d’écarter son scooter pour qu’elle passe la grille,
alors, il ne lui souriait plus,
parce qu’il ne la voyait plus
et Fleur avait mal.
Alors son corps lui dictait sa conduite,
pour oublier cette souffrance mentale,
il fallait s’en créer une physique,
il fallait couper,
taillader,
brûler
cette chair qui l’étouffait encore,
il fallait voir le sang perler,
il fallait que ces traces deviennent le reflet de ses maux,
il fallait qu’elle les voit,
il fallait que tous les voient.
Alors Fleur prenait les lames de rasoirs de Papa,
les couteaux aiguisés de Papa,
les cutter de Maman,
les aiguilles à coudre de Maman,
tout ce qui lui tombait sous la main,
pourvu que cela lui permette de scarifier sa douleur.
Papa et Maman effondrés, se sentaient impuissants,
ils ne comprenaient pas comment,
en si peu de temps,
ils avaient perdu leur enfant.
Pauvres parents !
Fleur est anorexique,
Fleur est boulimique
et Fleur leur est unique…
Alors Maman a décidé,
il fallait qu’elle soit soignée,
médecin généraliste, nutrionniste, psychiatre,
Fleur allait être sauvée !
Fleur avait repris du poids
pendant quelques mois,
puis Fleur avait replongé,
puis Fleur s’était ressaisie,
mais l’image du miroir
jamais ne la quittait,
toujours elle la voyait…
Déjà plus de cinq ans,
que Fleur s’est bien fanée
et à vingt ans seulement,
Fleur se sent rassasiée.
Rassasiée de la vie,
qu’elle voit comme un combat
contre la maladie,
Rassasiée de la mort
qu’elle souhaite parfois si fort,
Rassasiée de traitements,
toujours plus violents,
Rassasiée de paroles,
paroles médicales, d’amour parental,
de soutient et d’attente
qu’enfin elle se sente mieux…
Fleur a quitté l’école,
Fleur va à l’hôpital
pour être surveillée,
nourrie, gavée, pesée.
Secrètement,
Elle l’avait attendu,
ce jour, où,
en sortant de consultation,
elle l’avait reconnu.
Plus un adolescent,
Mais pas un homme vraiment,
du haut de ses vingt ans,
toujours son prince charmant ?
Son sourire angélique,
son regard amoureux
vers sa tendre compagne
qu’il avait enveloppée.
Fleur l’avait vu si belle,
pourtant cette demoiselle,
soutenait des formes rondes,
d’un Botero modèle.
Elle lisait dans les yeux,
de son beau chevalier,
tout le désir brûlé
pour son corps généreux.
Autrefois c’était elle,
Le Botero modèle
Aujourd’hui, elle n’est plus
Qu’un modèle Candérel
Opulente nature
Femmes de forte stature
Les dikats de la mode
Vous rendent la vie peu commode
Fleur s’en est ainsi flétrie
Fleur s’en est ainsi meurtrie
Fleur a le corps cassé
Fleur a le cœur brisé
vendredi 20 juin 2008